Isabel da Rocha

Auteur, artiste scénographe de la vie

  • « Les tabous voyageurs », l’aventure continue

    Merci à tous mes lecteurs, lectrices, pour vos retours élogieux et encourageants. Très investie dans la 10e édition du Festival Artecisse, j’avais laissé mon roman voyagé seul ; mais le voyage, cela le connait, n’est-ce pas, et à ma grande surprise, il s’est très bien débrouillé, grâce aussi à ses points de vente, dont la librairie Labbé, Le Foch, Athémie… ainsi que les plateformes Fnac et Amazon.

    Je suis très heureuse de continuer à le partager avec vous !

    La seconde édition arrive avant Noël !

    Ce n’est pas le premier livre que j’écris, mais bien le premier roman qui a mis très longtemps à germer.  En 2003, j’étais une « jeune » éditrice indépendante, installée dans sa galerie du 55 quai des Grands-Augustins à Paris. En novembre, Robert Laffont m’a reçue dans son bureau, à la suite de son témoignage dans mon premier ouvrage « Si Paris m’était croqué ». Nous avons longuement discuté de l’évolution de ce métier et de nos expériences mutuelles en création éditoriale. Personnellement j’étais totalement néophyte, car surtout artiste designer dans le monde du luxe. À la fin de l’entretien, il m’a regardé avec un grand sourire et m’a déclaré : « Vous, je vais être franc, vous vous trompez de côté. Vous avez une très belle écriture, lancez-vous dans cette aventure et revenez me voir avec un roman. » J’en fus très troublée, et il m’a fallu longtemps pour me rendre compte qu’il avait sans doute raison, d’autant que j’écrivais depuis des années dans mes carnets de notes et croquis, au gré de mes voyages ou déambulations. Lors de mon arrivée dans la vallée de la Cisse en 2009, j’ai commencé à rassembler tous ces textes éparpillés, dont quelques nouvelles. Ils m’ont permis de construire ce roman. Je l’ai terminé en 2018, puis mis de côté, d’une part pour le laisser reposer et grandir, d’autre part pour me consacrer aux activités associatives, très importantes dans ma vie. Je l’ai réveillé à la fin de l’année 2024 et voici sa seconde édition par l’association Artecisse, à laquelle je cède toutes mes créations.

    En voici un résumé :

    Michèle Angel, bibliophile passionnée vivant à New-York, reçoit un étrange manuscrit de sa sœur jumelle, inconnue des siens. Fleur, sa fille, en fait la découverte bouleversante. Accompagnée de son amie Ashley, elle s’envole vers Paris, déterminée à rencontrer cette tante inconnue et à suivre discrètement sa mère.
    Les jeunes artistes vont alors voyager dans le temps entre les mystères familiaux, les rues de la belle capitale française et la vallée de la Cisse. À la suite de nombreux télescopages et de rencontres improbables, le voile des tabous se lèvera pour laisser place à une tout autre réalité.
    Ce roman, abordant les questions de la relation d’emprise, de la précarité et des différences, est aussi un hymne à la littérature et à l’expression artistique, sources d’émancipation, de liberté et de partage.

    J’espère de tout cœur que vous trouverez autant de plaisir à le lire que j’en ai eu à l’écrire.

    Presse

  • Elle me regarde dans le blanc des yeux, je la regarde dans le blanc de l’âme.

    De longs préliminaires s’établissent : caresse du pouce ou du plat de la main, murmures d’incertitude, répétitions… Sa chair éblouissante se chauffe et irradie. Sa virginité m’intimide. Les mots, à elle destinés, tournoient sans s’inscrire sur sa nudité. Néant et plaisir pur, je m’abîme en elle.

    Elle sait qu’une fois griffée de ma plume, remplie et comblée, elle sera abandonnée. Je lui serai infidèle, je fuirai vers sa voisine immaculée, enivrante.

    Sera-t-elle déchirée de désespoir ou mère d’un enfant d’encre ou de charbon ?

    ©IdR. Texte retrouvé dans un carnet de 2005Présenté le 5 septembre 2024 avec le dyptique « Duel » dans le cadre de l’exposition « Quand les arts visuels rencontrent l’illettrisme » au Conseil départemental de Loir-et-Cher

  • Vivre les premiers jours, non pas d’une vie, mais d’une énième décennie…

    Un 70 tonnes me passe sur le corps, un coup de massue me vrille le cerveau. Réaliser soudain que la vie est passée et si vite. Que s’est-il…? Comment… ? Pourquoi… ? Autant de questions sans réponse, mais qu’importe, finalement !

    J’ai toujours aimé et respecté le mystère de ce monde, je ne le crains pas tant sa beauté est grande, même dans ses noirs replis ; pas besoin de religion, de dogme avilissant, le mystère me suffit et me protège d’une cape invisible.

    Et puis une multitude de fantômes me tiennent compagnie. Ils surgissent à tour de rôle quand je ne m’y attends pas. Certains, sombres et menaçants que je n’hésite pas à chasser d’une expiration profonde, après les avoir auscultés et dépecés. D’autres, plus nombreux, surviennent frais et légers. Ils m’embrassent sur le front avant de s’éclipser de nouveau. Je sais qu’ils reviendront, me suivant comme une ombre mouvante suivant mon humeur. Tous ces fantômes sont mes souvenirs, tellement nombreux que l’on se croirait à la manif contre les retraites. Charles Baudelaire s’exclamait : « J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans ». Les miens n’ont pas le spleen ; calmes et motivés à la fois, ils se relaient dans mon esprit, me tenant la main pour vivre pleinement le présent comme je l’ai toujours fait.

    Non, je ne suis pas seule, il n’y a pas de caveau, de granit, de morts, ni d’ennui, que des akènes de bonheur dansant au souffle de la vie.

    ©IdR-Février 2024- extrait de carnet

  • 4 avril – 17 h.

    Il y a du monde dans ce petit salon de thé, majoritairement des femmes. Exactement vingt-cinq femmes pour trois hommes et 3 enfants, ou devrais-je dire 25 femmes et 6 enfants, tant le genre masculin me semble toujours adolescent.

    Je suis installée dos au mur à l’une des petites tables carrées. Le brouhaha me fait du bien ; il est comme une lame de fond qui m’envahit l’esprit, le plonge dans un océan de mots, le nettoyant de ses scories. Le moulin à café en broie les derniers grains de tristesse. Je m’offre un petit plaisir rare, et solitairement égoïste, avec tarte craquante au citron et thé earl grey ; je laisse aller… Peu à peu, j’émerge de cette mélancolie qui m’envahit depuis des mois et les mots prennent sens ; je ne suis plus seule. Regret de ne pas avoir emmener un carnet pour croquer les 3 copines à côté de moi, un peu pénibles à ne parler qu’Alzheimer et aides à domicile. N’ont-elles donc rien d’autres à se raconter ? Aucun film, aucun livre, aucune rencontre à partager ? Pour la lessive tristesse, c’est un peu raté et elles ne sont même pas drôles ! À ma droite, elles sont plus jeunes et sympa, souriantes aussi et discrètes.

    Je n’entends plus que la musique d’ambiance, très années 80, jazzy, et je déguste le craquant de la tarte qui croustille à son rythme. Détente hors temps…

    La vieille dame aux cheveux rouges et courts s’agite soudain et hurle sa sinistrose, envahissant l’espace qui m’entoure et franchissant la barrière de mon doigt. Ouf ! C’était son cri du cygne, elles sont parties. Les dernières poussières de tristesse s’échappent avec elles et se dissolvent. Détente à nouveau…

    Une jeune femme brune que j’aperçois de trois-quarts me rappelle Catherine M. ; la même allure et gestuelle gracieuse et déterminée, la même coupe de cheveux voltigeant au ras des épaules. La ressemblance va jusqu’au pull noir au décolleté dos et dentelle pudique. Elle me manque, l’artiste. douze ans que je ne l’ai vue, mais je suis si fière de sa grande réussite.

    Les grains de tristesse reviennent se coller sur mes paupières, je ne sais pourquoi. Nostalgie d’un temps passé ? Peut-être d’avoir évoquer Robert Laffont avec Nathalie P., de lui avoir raconter cette rencontre émouvante. Je venais de lancer ma maison d’édition, et comme d’autres, il pensait que je ne me plaçais pas du bon côté. L’homme s’était longuement confié à moi pour finalement me complimenter sur mon travail, me conseiller d’écrire, de me lancer. Il ne savait pas qu’en ce temps-là, j’avais d’autres combats, trop douloureux, me laissant peu de temps. Et j’étais trop réservée pour le lui dire. Et pourtant, ce n’est pas une occasion perdue, comme certains pourraient le penser, mais le souvenir précieux d’un moment, d’un air partagé entre deux humains, deux générations qui se comprennent. Il avait alors 85 ans, un regard adolescent, moi 48, et je me souviens encore de sa tirade : « Lorsque j’ai créé ma maison d’édition pendant la guerre, j’avais l’argent, mais pas le papier ; vous, vous avez le papier, mais pas l’argent. L’un comme l’autre, ce n’est pas facile, vous êtes bien courageuse. Réglez ce problème en prenant la plume. » Je l’ai écouté, en secret et sans regret.

    Mais peut-être est-il temps de me lever ! À bientôt, Douce Heure…

    ©IdR – 2023

  • Il y a 3 ans, j’avais écrit ce scénario dans le cadre d’un concours de Pôle Image 41. Il avait franchi le cap de la première sélection, ce qui est déjà un exploit, car un tournage en pleine forêt de nuit est compliqué. Mais je ne désespère pas de pourvoir produire un jour ce petit court-métrage.

    3 Personnages : Maman : 38 ans environ, grande brune aux yeux noirs. Malou : 14 ans, vive, châtain aux yeux clairs. Toutes deux habillées de jeans étroits, pulls noirs et baskets. La Dame blanche : jeune, cheveux blonds sur les épaules, longue robe blanche. – 3 lieux : intérieur, forêt (zone de vieillissement à Marolles), lavoir de Bury – 3 séquences.

    Séquence 1 – Intérieur.

    Malou et Maman, de dos, regardant par une porte-fenêtre le reflet d’un coucher de soleil sur l’immeuble d’en face. Pénombre. Une pièce, envahie de verdure potagère et d’un immense écran diffusant un discours politique agressif (ex. : gros plan visage de Trump vitupérant). Le son est coupé.

    – « Maman, raconte-moi la Nuit noire.

    – J’attendais que tu me le demandes.

    – Pourquoi attendre un an pour en parler ?

    – Pour que, par la rareté du récit, tu en comprennes l’importance, et puis, cela nous donne le courage de vivre ; ces douze mois ne sont plus qu’une longue journée sans fin. J’ai besoin de la lumière du soleil, de cette heure bleue pour te conter cela… pour la dernière fois…

    – La dernière fois ?

    – Une intuition, mais sois sans crainte, et d’abord, prends ceci. »

    Elle se tourne vers elle et sort, d’une longue boite, une fine branche fourchue.

    – Voici la baguette de sourcier de ton grand-père. En noisetier… Il la tenait de son père. Lorsqu’ils vivaient encore à la campagne, elle leur permettait de découvrir les sources et d’aider les paysans à forer au bon endroit. Prends la, comme cela, doucement ! » Elle met délicatement la fourche dans les mains de Malou. La pointe dirige l’adolescente vers la porte d’entrée.

    – « Je le savais, c’est le signe… Nous devons y aller !

    – Où cela ?

    – Dans notre ancien village, près de la source.

    – Tu es folle, nous n’y survivrons pas. Plus personne ne vit là-bas, c’est bien trop dangereux.

    – Fais-moi confiance. Vite ! N’emmène rien surtout, j’ai tout ce qu’il faut. Je te conterais l’histoire en chemin. »

    Elle prend leurs blousons, noirs aussi, un petit sac à dos, et elles sortent de l’appartement.

    Séquence 2 – Forêt en clair-obscur.

    Sous-bois, touffu, à la lueur d’une torche que Maman sort du sac. Malou marche devant, tenant la baguette de sourcier droite devant elle.

    – « As-tu encore peur ? demande Maman.

    – Avec toi, jamais ! Je pensais qu’il y avait des murs autour de la ville, qu’on ne nous laisserait pas sortir.

    – Ce n’est pas nécessaire, la peur est le meilleur des remparts. Les gens ne s’aventurent plus au-delà de leurs rues, et encore. Lorsque les campagnes furent abandonnées de tous, des rumeurs terribles de famine, de bêtes féroces et d’émanations mortelles se mirent à circuler.

    – Raconte-moi les étoiles.

    – Tiens la baguette avec légèreté, c’est elle qui nous guide. Lorsque j’étais toute petite, nous vivions encore au village, nous avions un grand jardin, un potager où faire pousser les légumes, un verger pour les fruits. Souvent, la nuit, nous nous allongions dans l’herbe pour regarder les étoiles. La nuit noire, sans aucune pollution lumineuse. Malheureusement, il n’y avait déjà plus de médecins, ni aucun commerçant. Le bouleversement climatique mettait à mal nos maigres récoltes, y compris celles des producteurs locaux qui dépérirent rapidement, et nous étions obligés de nous alimenter en ville. Puis les énergies, y compris le bois, sont devenues tellement chères, plus chères que des truffes noires dirent certains, que nous avons dû tout abandonner, et tous les habitants sans exception partirent en ville.

    – Comment cela… plus cher qu’une truffe noire… que le museau d’un chien ? »

    Gros plan sur l’éclat de rire de Maman.

    – « Non une truffe, c’était un champignon savoureux et rare, un cadeau des Dieux, aujourd’hui disparu. Le plus cher des mets… Arrêtons-nous un instant. »

    Silence. Plan sur la forêt. Jeux d’ombre et de lumière. Ils s’assoient sur des troncs couchés.

    – « Nous vivions donc en ville, dans l’appartement où nous sommes encore aujourd’hui. C’est ton grand-père qui a élaboré ce potager intérieur, avec les graines qu’il avait emmenées en secret. Cela l’aidait à survivre et il ne pouvait se résoudre à ne manger que des aliments de synthèse. C’est grâce à lui, si tu connais le goût des fraises.

    – Dont je ne dois parler à personne, je sais…

    – Une nuit d’été, nous étions tous assis sur le balcon pour regarder les étoiles filantes. Avec le couvre-feu à partir de 20 h, la nuit noire et la voie lactée étaient réapparues dans le ciel des villes ; nous savions les reconnaître parmi les milliers de satellites envoyés pas Lord K. Nos pensées étaient perdues dans les étoiles, mêlant passé et avenir. Soudain, quelques étoiles se mirent à filer vers l’horizon. Il fallait vite faire un vœu. Le nôtre était toujours le même : retrouver notre hameau perdu, notre jardin et notre rivière.

    – Pourquoi ?

    – Les arbres, l’odeur des fleurs, le chant des oiseaux, le glouglou de l’eau, l’herbe dans laquelle nous courrions, en somme la liberté que nous avions perdue.

    – C’est quoi la liberté ?

    – Ferme les yeux un instant, l’odeur du sous-bois… respire avec ton ventre comme je te l’ai appris, ressens, écoute… c’est cela la liberté. »

    Gros plan sur le visage de Malou, immobile, yeux fermés, respirant à fond. Elle murmure :

    – « J’aime la liberté.

    – Continuons maintenant. Ce soir-là, nous avons perdu bien plus que la liberté. Les étoiles ont continué à filer, nous étions en joie… jusqu’à ce que Mizar, Alioth, Alkaïd, toutes les étoiles de la Grande Ourse, puis Cassiopée sombrent à leur tour derrière l’horizon. En l’espace de quelques minutes, en un spectaculaire final, il ne resta pas une étoile dans le ciel, puis la lune à son tour disparut. Le clignotement des satellites s’éteignit d’un coup. Une véritable nuit, profondément noire s’installa. Le lendemain, notre ciel s’était transformé en un épais brouillard cachant également le soleil. Le froid tel que tu le connais, s’installa. Les réverbères furent de nouveau allumés, décorés de lucioles en un simulacre de ciel étoilé. Les gens, les hommes surtout, devinrent fous, s’entretuèrent ou moururent brutalement de dépression, comme ton grand-père et ton père. L’oppression fut terrible, et depuis nous survivons comme nous pouvons. Mais le jour de ta naissance, le soleil réapparut pour la journée, et ainsi à chacun de tes anniversaires. Une brève lueur d’espoir dans une vie captive de l’obscurité. »

    Un bruit de branches, de feuilles mortes foulées, de course. Malou sursaute.

    – « Qu’est-ce que c’était ?

    – Un chevreuil, un renard ou un sanglier peut-être, il y en avait beaucoup. Espérons que certains aient pu s’adapter.

    – J’ai cru voir une ombre, comme une femme, toute blanche.

    – Un effet de ton imagination… Allons, nous avons encore une bonne heure de marche. »

    Plan de dos : Elles continuent en silence, à travers la forêt sombre, guidées par la baguette, la main de Maman sur l’épaule de Malou.

    À nouveau un bruit de branches, là-haut, au sommet des arbres. Puis un hululement répétitif. Gros plan sur leurs visages levés.

    – « Une chouette, je pensais qu’il n’en existait plus. » s’exclame Maman.

    – Une chouette, c’est quoi ?

    – Un oiseau de nuit. Ne t’inquiète pas, elle est là pour nous guider.

    – Maman, regarde ! »

    Au sommet des arbres, une longue trainée laiteuse se déplace entre les arbres, courant devant eux.

    – « La voilà, ta Dame blanche, juste un peu de brouillard. Allons, continuons. »

    Séquence 3 – Lavoir. Entre nuit et jour.

    Elles sont au bord d’un lavoir abandonné. Un énorme tas de détritus, de petites machines rouillées, surtout de plastiques en tout genre, au milieu de l’eau. De nombreux déchets surgissent brièvement sous la lumière de la torche qui balaye les berges. Maman pleure silencieusement. Malou pose la baguette de sourcier sur le muret, et prend sa mère dans ses bras.

    – « Qui a pu faire cela ?

    – Ne pleure pas, Maman ; nous ne sommes pas venus pour rien. Nous allons tout nettoyer, l’eau en premier. » Elle enlève ses baskets, remonte son jean et entre dans l’eau.

    – « C’est étrange, tout ce tas est posé sur une bâche comme si l’on avait voulu boucher la source ! Je dois pouvoir la replier. Je vais pouvoir enlever ce tas d’ordures.

    – Dans mon sac à dos, tu trouveras une corde. »

    Malou dégage le surplus de bâche moisie, mais encore solide, le ramène sur le dessus, en nouent les angles et tire doucement d’abord, puis fermement, avec de grands efforts, pour finir par remonter l’énorme paquet sur le sol du lavoir. Bruit d’éclaboussures.

    – « Maman ! Regarde ! »

    Là au milieu de l’eau, sur un fond de petits cailloux et d’herbes ondoyantes soudain libérées, un croissant de lune brille.

    – « Merci, jeune fille, d’avoir sauvé mon escarboucle ! »

    Malou sursaute, Maman reste immobile, muette, les yeux fermés.

    Sur le parapet au-dessus de la source, une jeune fille blonde, vêtue de blanc, est assise, lui souriant.

    – « Qui êtes-vous ? » demande Malou.

    – « Certains me nomment la Vouivre, d’autres Damona, la déesse des sources, ou encore, la Dame blanche. J’ai bien des noms et des vies, comme mes sœurs, que vous, les humains, avaient tant maltraitées.

    – Comment cela ?

    – En nous polluant, en déversant vos poisons et vos déchets dans nos royaumes, en tuant le vivant. Vous étiez déjà tous partis, comme des couards, incapables de survivre seuls, mais vos dirigeants continuaient à se débarrasser de vos ordures dans la nature, sur nos terres ; c’était pratique, vous n’étiez plus là pour le constater et ce n’était pas grave, puisque bientôt, ils découvriraient une nouvelle planète où vivre. Enfin, le croyaient-ils. Lorsqu’un voyou vint déverser ces horreurs dans cette eau, et m’ôter ainsi le reflet de la Lune, ce reflet qu’elle m’avait offert, ce fut le crime de trop.

    – Qu’avez-vous fait ?

    – Tu le sais, ta mère te l’a conté. Les étoiles, la lune et le soleil se sont cachés aux yeux des hommes, vous plongeant dans les ténèbres, la Nuit noire. Vous avez été contraints de cesser vos recherches spatiales. Vous avez survécu, sans rien comprendre. Les milliards économisés, vous ne les avez pas utilisés pour sauver notre planète, non, mais pour enrichir vos despotes et leurs hordes de gardes armés.

    – Et maintenant ?

    – Tu as retrouvé mon escarboucle, ce reflet de Lune. Nous ne t’attendions pas avant mille ans ! »

    Gros plan sur Maman qui ouvre soudainement les yeux et fixe la Dame blanche.

    – « Sans les étoiles, le Soleil et la Lune, dont vous avez privé bien des innocents sur cette Terre, une année semble maintenant un siècle.

    – Alors, le compte y est largement. Vous devez retourner vers la ville, toi et ta mère, et transmettre ce message : à chaque action bénéfique, en faveur de la Terre, de la Nature, une étoile vous sera rendue.

    – Ils ne nous croiront pas, ils nous massacreront.

    – Ils vous croiront, car le soleil sera toujours là où va ta fille. N’oublie pas que nous l’avons nommé Malou ; dorénavant, elle est l’otage de sa mission et la lumière de l’humanité.

    – C’était toi ? » murmure Maman.

    – Oui, cette petite voix qui te suit, te guide, depuis sa conception, c’est moi, la Dame blanche. J’ai veillé et je continuerai à veiller sur vous. Et pour gage de ma sincérité, quand vous arriverez ce soir en ville, la lune se lèvera à nouveau dans le ciel. Allez maintenant, et revenez nombreuses à la Terre ! »

    Elles repartent, le jour se lève, ensoleillé, au son de la source libérée.

    ©IdR2020

  • Ma « Portée démocratique », un dessin automatique, fait en attendant la décision du Conseil constitutionnel que nous espérions plus sage que notre « Chef d’Orchestre », après un nouveau 49.3 !

    Aucun maestro digne de ce nom ne dirigerait une œuvre sans étudier longuement la partition qui lui a été confiée, sans l’écouter et la ré-écouter ! Macron, Borne et Darmarin ne comprennent visiblement pas le Saint-Saens du noble nom de Démocratie et ne savent générer que des concerts de casseroles !

    La République française est une œuvre en soi, un exemple pour le monde entier depuis la rédaction de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en 1789 ; sa partition est faite d’une multitude de notes citoyennes, multiculturelles d’une grande richesse qui ne peut resplendir qu’à travers la savante organisation de groupes divers et variés, dignes instruments de la démocratie. Les virtuoses sont rares !

  • 7 heures du matin. Octobre 2015

    Ce matin, mon esprit inquiet s’est dilué dans la brume poétique ; il aura suffi d’une myriade de gouttelettes opalescentes en suspension sur la ville, ne laissant apparaître que les flèches de Saint-Laumer, pour que mon âme se fasse légère comme ces oiseaux à contrejour du soleil levant.

    Garder cette image de sérénité, cet envol à tire d’aile au nu du pont Mitterrand, ce lever auréolé de miel par l’astre abricoté, réconfortant comme la confiture du matin sur le pain tiède du jour.

    Mercredi 14 novembre 2015

    Vu deux jeunes daguets traversant la rue de Chambon, à hauteur de la Cisse. Têtes alertes dressées aux aguets, ils bondissaient vers la Dejamberie.

    L’après-midi, quatre autres chevreuils nous guettaient à l’orée de la forêt de Chambord. Je te remercie, chevreuil, d’exister encore, malgré les chasseurs de forêts et d’espaces. Ton regard s’accroche à la lisière des champs entre bois et lumière et, parfois, tu danses joyeusement.

    Belle journée…

    Train novembre 2015 – Impressions fugitives

    Bois bosquet

                   Hameau  

    Chapelle

                     Pointe dressée…

    D’un clocher ?

                                    Éolienne…   éoliennes

    Vent brassé             bras ouverts

    Lignes    tensions    pylônes    parallèles

    Horizons croisés    cul zébré    accélération

    Flou gaussien    vitesse    

    Soleil et brume

    L’automne, cette année, ne dore pas. Le vert se fait milice et rouille avant de sombrer sur le sol. Rébellion des forêts, buissons et bosquets, grève des chênes, frênes et bouleaux, dressés, orgueilleux.

    Pas de parade enchantée, pas de rouges ni d’oranges flamboyants, ni de frémissement lumineux.

    ©IdR 2015

  • 7H30 RER B – Dehors il pisse dru une pluie impatiente. Mes escarpins de cuir noir sont trempés. Le train arrive, les portes s’ouvrent, deux vagues humides s’affrontent, se fondent l’une en l’autre sans réfléchir, sans se voir, pour ensuite se défaire ; toute une humanité pressée, tressée, compressée, oppressée en partance pour de longues heures de travail. Je me faufile entre des imperméables luisants, des vestes flasques, des parois sèches et humides, des os inondés et saillants ; les visages sont fermés, anonymes, je butte sur des bottes, des battes, des pattes, des pieds peut-être, et je me trouve coincée enfin contre la paroi glacée du compartiment ! Trente minutes de bain de foule glauque et endormie. Un air d’Heavy Metal m’agace les oreilles ; à cette heure-ci, c’est inhumain. Je n’aurais jamais dû mettre ce petit tailleur, pourquoi n’ai-je pas gardé mon jean, je vais arriver fripée, trempée, noyée et de mauvaise humeur.

     8H00 : Avenue Montaigne. Un rayon de soleil filtre entre deux nuages noirs. Il va me permettre d’arriver saine et sauve.

    Ouf, j’y suis, dans cette boutique de tous les rêves qui rayonne au centre de la capitale, cette grande dame vénérable et excentrique, toujours courtisée, adulée malgré son grand âge. Mon contrat a été signé hier après deux mois d’essai ; maintenant je fais vraiment partie de son cœur. Mieux, je suis en charge de son apparence, du soin de ses atours. Je dois faire éclater son éternelle jeunesse en vitrines étincelantes. Et ce matin, je traque le moindre faux pli, je redresse le mannequin qui s’est assoupi dans la nuit, fatigué de séduire les clientes, je caresse du dos de la main une soie épaisse et colorée, je me grise du parfum d’élégance. J’en profite pour m’imprégner de l’atmosphère, penser à ma prochaine scénographie, elle va être déterminante ; je suis seule, personne n’arrivera avant une bonne demi-heure…

    8H35 – La porte de l’emballage entrouverte, un bruit de voix féminine. Suraigüe, agacée…

    Alors, La Martins, elle reste !!!

     Dans le monde de la Mode, vous êtes soit un prénom, soit un nom – pas toujours le vôtre – précédé de l’article déterminant votre genre : aigre, doux ou les deux à la fois. Monsieur, Madame n’existe qu’en très, très Haute Direction.

    C’était évident… Encore une qui se la joue promotion canapé. Nous savons tous qui est le père de sa fille !

    Je reste figée, profondément blessée, en reconnaissant la voix féminine, stupéfaite par tant de mépris, d’ignorance crade et de misogynie de la part d’une autre femme. Comment osait-elle ? À quelle autre ignominie devais-je m’attendre ? Depuis mon arrivée, j’étais en butte à un harcèlement, non pas masculin, mais très féminin de la part de femelles jalouses, car terrifiées par les nombreux remaniements d’une nouvelle direction. Et je venais de réaliser que j’en étais l’une des représentantes.

    La vengeance, de prime abord innocente, imaginée et propagée par une collaboratrice aussi indignée que moi, fut stylée :

    Savez-vous que la petite chienne de « la Pérore » attend des petits ? Quel peut bien être le père ?

    L’anecdote nous échappa, descendit le grand escalier majestueux, roulant à droite, sonnant à gauche, se faufilant dans les cabines feutrées, profitant d’un pan de rideau entrebâillé et, dans sa hâte à regagner l’Avenue, maigrit de quelques mots, s’engraissa de quelques autres. Elle se perdit dans les bureaux par l’escalier de pierre usé, monta jusqu’aux mansardes des ateliers, glissa de tout son haut, s’éclata sur le bronze du lustre de l’entrée, en fit tinter les cristaux à onze heures trente sept minutes, puis s’envola avec allégresse à midi exactement, lasse d’attendre. Elle s’étala enfin de tout son long dans les salons du Prêt-à-Porter, en trébuchant sur les canines aiguisées d’une petite vendeuse brune :

    Figurez-vous que « La Pérore » attend un enfant ! À son âge ! Son mari est mort il y a quelques mois à peine !

     La recherche de paternité occupa la digne Maison les quinze premiers jours de mars, mais lorsque « La Pérore » s’absenta cinq jours, chacun sut que le coupable ne serait jamais dévoilé, le résultat du délit s’étant fait aspiré en même temps que la dignité de la directrice.  Celle-ci eut vent de l’affaire lorsqu’une de ses amies vint la réconforter en pleine boutique :

    Tu as très bien fait, c’était vraiment trop dangereux cette grossesse à ton âge ?

     La Pérore qui n’avait jamais eu d’enfant, s’indigna, tempêta, serra un peu plus son Chihuahua contre sa poitrine en balconnet, puis resta enfermée dans son bureau quelques heures, le temps que Radio Moquette s’en prenne à quelqu’autre.


    Nota : Toute ressemblance avec un chihuahua ou des personnes de votre connaissance serait purement fortuite.

    ©IdR – 2016

  • Bien avant la dynastie des Ming, déjà, je me jouais de cette trilogie… Pierre, feuille, ciseau…

    Feuille, verte et souple, mes gouttes de pluie rebondissent à ta surface ; accompagnées du chant des grenouilles, elles dansent en diable jusqu’à te faire plier vers le sol. Là enfin, tu me guides souplement vers cette pierre dont j’épouserais la rondeur.

    Pierre, je t’enrobe mieux que la feuille ne saurait le faire, je coule à ta surface et t’enveloppe de mes flots harmonieux. Tu as beau te rouler dans le lit de ma rivière, tu ne peux m’écraser. Et je serais le ciseau qui te fera sable et t’entraînera jusqu’aux profondeurs de ma mer.

    ©IdR – 2019

     

  • Ceci n’est pas une page blanche. C’est un lynx !  Un lynx, avide de phrases et chicaneur, jouant avec mon crayon, le mordillant, le torturant jusqu’à lui faire rendre l’âme. Et pas n’importe quelle âme, celle des mots et des lettres lesquels, justement, vous collent à l’âme.

    Ceci n’est pas une page blanche. Regardez la lumière de son grain, malgré les mille salissures de mes pattes de mouche, mes gribouillis et petits croquis. Elle m’aveugle et parfois m’effraie, souvent m’intimide et me rend maladroite. Toujours elle me guide, en souplesse, de même que Lyncée les argonautes. Et toujours je reviens à elle, ma page lynx, ma sauvage.

    Ceci n’est pas une page blanche. J’ai beau la griffer, la raturer, la gaver de noirs dessins, de sombres maux, et parfois même la déchirer ou la brûler, elle revient toujours, éclairer de son regard vif mes insomnies et se jouer de moi, en belle féline. Elle provoque mes désordres pour mieux les ordonner, se dérobe sous la mine noire pour mieux se donner toute entière à la caresse de mes billets. Vorace, elle aime la chair des mots, le sang de l’encre et le craquant des phrases. Elle les dévore, les digère puis les régurgite sous la forme d’un jeune oisillon, dont il me faudra attendre l’envol.

    Ceci n’est pas une page blanche, elle est si vivante. Allez mon lynx, rends moi mon crayon, moi aussi j’ai faim et soif d’écrire en cette nouvelle année.

     

    Texte et dessin ©IdR 2020 – 19h37.